Le GranMur de SaintIsidor

Quelques mois avant la mort du Roi Constanton et les événements évoqués dans le roman « Les Deux Monarques », Guilon, un orphelin de dix ans, est emmené au sud de la ville de SaintIsidor, où il est appelé à devenir un soldat qui patrouillera sur le GranMur afin de protéger le Royaume de mystérieuses créatures nommées les Monstres.

— Pitié, non ! Je ne veux pas y aller ! Gardez-moi avec vous, s'il vous plaît, SaintSieur ! supplia Guilon, un garçon chétif de dix ans aux cheveux châtains mal coiffés. 

La mort dans l'âme, le Cordon Lucan, tout en replaçant sa calotte rouge sur sa tête, rejeta la demande du garçon :

— Je suis désolé mon petit ! Les orphelins ne sont confiés aux Cordons que jusqu'à leurs dix ans, et cet âge-là atteint, ceux d'entre eux qui n'ont pas été adoptés sont destinés à devenir soldats ! Les lois du Royaume sont ainsi faites et je ne puis aller à leur encontre, Guilon. Tu dois suivre le recruteur !

L'homme en question, un vieux soldat aux cheveux longs et à la large barbe, vêtu entièrement d'habits noirs, s'impatientait quelques pas plus loin, se demandant bien ce qu'il pourra être fait d'un poltron pareil. 

— Viens avec moi, p'tiot, râla-t-il. Y'a rien d'autre à faire !

Le petit Guilon se jeta à genoux aux pieds du Cordon, puis enserra ses jambes avec ses bras de toutes ses forces, tout en continuant à geindre. Le recruteur poursuivit alors d'un ton plus ferme :

— T'as dix ans, p'tiot ! Conduis-toi comme un homme !

Le Cordon Lucan, bon gré mal gré, alla dans le même sens que le recruteur :

— Sois raisonnable, Guilon ! On en a parlé mille fois et tu savais que ça arriverait !

— Oui, mais je ne veux pas vous quitter ! Je suis heureux avec vous ! Et je vous aime comme un fils aime son père, mon bon SaintSieur !

— Et moi je t'aime comme un père aime son fils, Guilon et je te le dis comme un père te le dirait, fais ton devoir ! Tu pourras revenir me voir, plus tard, lorsque tu seras un soldat ! Le village se trouve à peine à trois heures de marche de SaintIsidor ! 

Le petit garçon, rassuré, se détendit puis se releva, et le Cordon Lucan le serra alors très fort dans ses bras. 

— Va, mon grand ! lui lança-t-il, de la tristesse plein la voix.

Guilon essuya ses yeux de la manche de son pullon, puis il alla s'asseoir dans la charrette où se trouvaient déjà trois autres enfants, deux filles et un garçon. Le recruteur s'assit ensuite à l'avant du véhicule, reprit les rênes et fit claquer sa langue deux fois contre son palais. Les deux chevaux se remirent alors en marche. 

— P'us qu'trois villages et on rentre, les p'tiots ! lança-t-il.

Dans la charrette, Guilon remarqua qu'une des filles le dévisageait. 

— Je m'appelle Guilon, lui dit-il !

— J'parle pas aux d'mi-dards qui chialent comme toi ! lui rétorqua la jeune fille. Cause-moi encore et j't'en file une ! 

Le recruteur se retourna.

— Personne frappe personne ici à part moi, p'tiote ! Pigé ?

La gamine ne moufta pas. 

— Et toi, garçon, ajouta-t-il, ton Cordon t'a trop couvé j'crois bien ! Va falloir t'endurcir s't'veux d'v'nir un soldat un jour !

Guilon, pour toute réponse, enfourna sa tête entre ses jambes comme pour se réfugier dans un autre monde que celui dans lequel il venait de s'embarquer. Je veux retourner chez moi, se lamenta-t-il. Je veux retourner auprès du Cordon Lucan ! Ses yeux s'humidifièrent à nouveau et il pleura. Il s'efforça bien de le faire en silence pour ne pas attirer l'attention des autres, mais ses reniflements sonores ainsi que ses hoquètements finirent par le trahir. L'autre fille, celle qui était assise à l'avant de la charrette, se déplaça alors en sa direction, en essayant de ne pas tomber, puis elle s'assit à ses côtés. 

— Je m'appelle Firmine, dit-elle de sa toute petite voix.

Guilon releva légèrement les yeux pour les porter sur la jeune fille. Lorsqu'il aperçut ses longs cheveux noirs, ses yeux brillants et son sourire espiègle, il sortit instinctivement sa tête de sa carapace puis sourit à son tour à sa gentille camarade. Quelques temps plus tard, l'on arriva dans un nouveau village. Le recruteur y arrêta la charrette au pied du Cordonnaire, seulement grand comme deux maisons dans cette bourgade. La Cordonne du village, qui se trouvait là, vêtue de sa robe rouge, remarqua le véhicule puis disparut immédiatement derrière l'édifice. Une minute plus tard, un gamin costaud aux cheveux blonds ainsi que le Cordon du village apparurent. Le gamin, sans mot dire, se dirigea vers la charrette, sauta à l'arrière du véhicule, puis s'y assit, de dos au religieux. 

— Faites bien attention à celui-là, c'est de la graine de fauteur ! lança ce dernier à l'adresse du recruteur avant de tourner les talons et de s'en aller.

— Cordon d'mes deux ! s'exclama quant à lui le gamin costaud une fois que la charrette s'était éloignée de quelques mètres. 

Guilon était totalement ébahi par la scène à laquelle il venait d'assister. Il ne comprenait pas pourquoi le garçon n'avait pas salué son Cordon avant de le quitter et encore moins ce que « Cordon d'mes deux » signifiait. Il n'osa pas le demander, cependant, et tâcha simplement de ne pas se faire remarquer. Le recruteur poursuivit son petit bonhomme de chemin, traversant encore deux autres villages. Le premier vit un garçon monter à bord de la charrette et le second une fille. Bien plus tard, au loin, en contrebas du chemin, Guilon vit petit à petit émerger une longue palissade en bois et derrière cette dernière, des dizaines de grands baraquements, placés les uns à côté des autres.

— On arrive, s'écria le recruteur. V'là le ghetton du GranMur !

Il tendit son index vers l'avant et les enfants qui ne contemplaient pas déjà les bâtiments s'y mirent immédiatement. 

— Avec l'ghetton du port, plus au nord, l'ghetton du GranMur est un des deux ghettons noirs d'SaintIsidor, ajouta le recruteur. C'est là qu'vivent les soldats qu'défendent l'Royaume contre les Monstres quand i's'trouvent pas à ouvrager sur l'Mur.

Il tira vivement sur les rênes pour éviter un nid de poule.

— L'ghetton est divisé en quat' sections, continua-t-il, comme l'Mur d'ailleurs. Moi, j'suis l'r'cruteur d'la troisième section. C'est là qu'on va ! À la paternerie !


Lorsqu'ils arrivèrent sur place, un ensemble de trois baraquements entourant une vaste cour, un homme et une femme vêtus eux aussi de noir de la tête aux pieds les attendaient face au bâtiment central, le plus grand des trois. La femme, un joli brin de fille aux cheveux foncés et à la peau mate était beaucoup plus petite que l'homme, grand et large d'épaules, mais cela mis à part, on aurait pu les prendre pour frère et sœur à tel point leurs traits étaient semblables. Tous deux saluèrent le recruteur, qu'ils nommèrent Tarin, tandis que les enfants descendaient de la charrette, puis lorsque tous furent placés en rang, ce fut la femme qui parla la première :

— Bonjour à tous ! J'm'appelle Vagone et voici mon mari, Fulmin. Nous sommes tous les deux entraîneurs, c'qui veut dire, pour les garçons, qu'Fulmin vous entraînera à être d'bons soldats et pour les filles, que'j'vous entraînerai à êt' d'bonnes femmes d'soldats.

Les enfants, fatigués par le voyage, se contentèrent d'écouter sans rien répondre.

— Nous savons qu'vous v'nez d'êt' arrachés à vot' vie, vos proches, vos amis, et qu'c'est très dur ! poursuivit le mari, Mais sachez qu'ici, à la paternerie d'la troisième section du GranMur d'SaintIsidor, une nouvelle vie qu'aura du bon vous attend ! Alors, vous-en faites pas trop, d'accord ?

L'un ou l'autre enfant acquiesça. 

— Présentez-vous, maint'nant, ajouta l'homme.

Chacun des enfants donna son prénom. Le garçon costaud en froid avec son Cordon s'appelait Célin, et les deux autres, en plus de Guilon, Pétron et Sabin. Concernant les filles, outre Firmine, se trouvait Pavelone, la petite impudente, et aussi Andrène. 

— Bienv'nue à vous tous, les enfants ! reprit Vagone. Vous d'vez avoir faim ?

Tous hochèrent la tête. 

 — Y'a du pain qu'vous attend sur vos couchages. Les garçons, suivez Fulmin, et les filles, derrière moi !

Les garçons, à la suite de leur entraîneur, pénétrèrent dans la baraquement situé à gauche de la cour, tandis que les filles se rendirent avec Vagone dans celui qui se trouvait sur leur droite. Les garçons finirent par arriver dans une vaste chambre où se trouvaient une vingtaine de lits dont la plupart étaient déjà occupés. 

— Oh des p'tits nouveaux ! lança un garçon d'une dix-et-cinquaine d'années qui était allongé sur un des lits.

— Où t'as vu qu'j'suis p'tit, moi, aboya Célin en retour, bombant le torse et tançant le garçon qui avait parlé du regard. 

Celui-ci descendit de son couchage, s'approcha de Célin puis le fixa droit dans les yeux, le regard noir. Il était bien plus grand et trapu que le jeune effronté, qui ne le remarqua qu'alors.

— Il a un problème, le p'tit nouveau ! grogna-t-il.

Fulmin s'interposa entre les deux garçons. 

— Dadin, retourne te coucher, ordonna-t-il, quant à vous quatre, les nouveaux arrivants, rejoignez immédiatement un couchage de libre !

Les garçons portèrent leurs regards vers le fond de la chambrée, où ils purent apercevoir une dizaine de lits inoccupés. Sur quatre d'entre eux, un vêtement avait été disposé tandis que sur de petits meubles attenants se trouvaient un quignon de pain sur le dessus et en-dessous, divers vêtements, ainsi que des chaussures. Célin s'appropria un des lits le premier, suivi de Pétron puis de Sabin, et Guilon rejoignit alors le dernier lit disponible.

— Enfilez vot' soupullon d'nuit qui s'trouve sur vot'lit maint'nant, ordonna Fulmin, puis donnez-moi tout c'qu'vous portez sur l'dos, soques, chausses et culotons compris !

Les quatre garçons obtempérèrent, se déshabillant puis se rhabillant en quatrième vitesse avant de déposer leurs anciens vêtements aux pieds de Fulmin. 

— S'allez en faire quoi ? demanda Pétron.

— Les laver, puis les apporter à la paternerie d'SaintIsidor, pour les orphelins, expliqua l'entraîneur. S'en aurez plus l'usage, tous les quatre, d't'tes façons, puisqu'vous port'rez p'us qu'des habits noirs jusqu'à la fin d'vos jours !

Le noir, en GranQarélie, était la couleur attitrée aux membres de l'ordre de la Vilénie, dont faisaient partie les soldats avec les gardes et les frères et ainsi, quoi qu'un Vil revêtait, manteau, pullon, pantes, soques ou même chausses, cela se devait d'être noir.

— Mangez maint'nant, puis dormez, s'écria Fulmin, parc'qu'demain, une très longue marche vous attend !

Il ramassa le tas d'habits qui se trouvait à ses pieds puis quitta la chambrée en soufflant les quelques chandelles qui étaient encore allumées. Célin, Sabin et Pétron dévorèrent leur quignon de pain, tandis que Guilon en arracha délicatement des morceaux de croûte afin de savourer la mie, tout à la fin, après en avoir fait une boule compacte. Ce faisant, le garçon, pensif, songea au Cordon Lucan et à sa vie de VertePlaine qui venait de lui glisser sous les doigts et ses yeux s'humidifièrent alors. Tout à coup, l'enfant perçut une ombre se mouvant non loin de lui, dans l'obscurité puis l'instant d'après, on lui arracha le pain des mains, juste au moment où il ne restait plus que la mie à déguster. Guilon entendit ensuite un ricanement puis des bruits de mastication provenant du lit de Célin, qui se trouvait à côté du sien, et effondré, il passa sa tête sous les couvertures, pleura en silence, puis s'endormit quelques instants plus tard les joues pleines de larmes. 


Le lendemain matin, à l'aube, Fulmin réveilla les quatre garçons, puis leur donna cinq minutes pour enfiler leurs tenues de jour et le rejoindre à l'extérieur, dans la cour. À son ton, tous les quatre comprirent qu'ils avaient plutôt intérêt à être en position à temps, et ils le furent. 

— Le noir vous va bien ! s'exclama Fulmin en posant tour à tour ses yeux sur chacun des garçons qui portaient tous les quatre un pullon, des pantes ainsi que des chausses noires. 

Guilon, en se regardant, trouva la couleur un peu triste, mais ce qui l'embêta bien plus fut que ses chausses, inconfortables au possible, lui comprimaient les orteils. 

— Comme j'vous l'ai dit hier, pour vot'première journée d'soldat, on va faire une longue marche, continua Fulmin.

Pétron soupira bruyamment. 

— T'as que'que chose à y r'dire, gamin ? tonna l'entraîneur tout en se postant crânement devant lui, les muscles bandés.

Pétron secoua la tête de côté, terrorisé. Guilon n'aimait pas marcher, lui non plus, mais il avait eu la présence d'esprit de garder pour lui son mécontentement.

— C'tte marche, j'la fais avec toutes mes nouvelles r'crues pour leur premier jour d'puis des années ! s'écria Fulmin. Et j'vous préviens, s'allez en baver, mais c'qu'vous verrez, vous l'oublierez jamais !

Il désigna un monticule de sacs du doigt. 

 — Maint'nant, prenez vot' paqu'tage, nous partons !

Et il se tourna, puis se mit à marcher. Chacun des garçons s'empara alors d'un des sacs qui étaient posés sur le sol puis suivit le mouvement sans piper mot. 

— Pour commencer, on va vers l'ouest jusqu'à sortir du ghetton, indiqua Fulmin une fois les garçons à son niveau. Du coup, on va entièrement traverser la deuxième, p'is la première section du ghetton, ajouta-t-il.  

Le ghetton du GrandMur avait une configuration particulière, tout en longueur. Des siècles plus tôt, à l'époque où le Mur avait été érigé, chacune des sections, placée à proximité des forts dont elle avait la garde, était parfaitement délimitée des autres, mais avec le temps, l'augmentation des effectifs et la construction de nouveaux baraquements, les quatre sections finirent par se rejoindre pour ne plus former qu'un unique ensemble de constructions longeant le GranMur. Malgré la proximité de cet édifice, les garçons ne le distinguèrent pas du fait de la grisaille matinale de la vile saison et ils durent se contenter d'en deviner la présence, plus loin, sur leur gauche. Les baraquements du ghetton, quant à eux, se ressemblaient tous peu ou prou. Certains semblaient néanmoins plus récents que d'autres et quelques-uns étaient plus grands aussi.

— VilSieur ? s'écria Guilon. 

— Appelle-moi entraîneur, p'tit ! répondit Fulmin. Qu'est-ce qu'y a mon gars ?

— Y'a qu'des soldats qui vivent ici, dans ce ghetton, c'est bien ça ?

— Ouais, lança l'entraîneur, l'ghetton du GranMur est un ghetton d'soldats, un ghetton noir ! Les gardes et les frères, s'ont leurs prop' ghettons, l'ghetton bleu et l'ghetton rouge, plus au nord, près d'la muraille d'SaintIsidor. 

Après quelques foulées silencieuses, il poursuivit, comme pour apporter une réponse plus complète :

— Avec les gardes et les frères, on est tous des Vils, des membres d'l'ordre des combattants, mais à part ça, on est bien différents ! Les soldats protègent l'Royaume d'ses agresseurs extérieurs, qu'c'soient des Créatures - Chantres, Monstres ou Spectres - ou des hommes bien comme nous qu'auraient eu l'idée d's'attaquer à la GranQarélie. Les gardes et les frères, eux, i's'contentent d'protéger les Nobles et les Saints, en plus d'arrêter les fauteurs.

— J'suis content de d'v'nir un soldat et pas un garde ou un frère, confia Pétron. J'préfère protéger l'Royaume tout entier qu'seulement les Nob' ou les Saints, moi ! 

Les trois autres garçons furent catégoriquement de son avis. 

— Et au fait, entraîneur, demanda Sabin, on va d'v'nir quel genre d'soldats, nous, tous les quat' ? 

— Faut voir, répondit Fulmin. Y'a plein d'métiers différents parmi nos rangs : r'cruteur, comme Tarin qu'vous a m'nés à la paternerie hier ; entraîneur, comme moi. P'is t'as ceux qui s'battent : les archers, les lanciers et les glaiveurs. T'as les pontonniers aussi, qui fabriquent les ponts, les sapeurs, qui creusent des tranchées, p'is ensuite ça va du fondeur, qui forge les glaives, au cuisinier, qui prépare la bouffe, jusqu'au souffleur, qui joue les airs militaires sur sa flûte. P'is y'a les gradés aussi, les capitaines, qui dirigent les sections, les centeniers, qu'sont à la tête d'cent soldats et les dizeniers, qui commandent dix hommes. On vient d'ailleurs d'passer d'vant la baraque du cap'taine d'la deuxième section ! 

— Celle qu'tait plus grande qu'les autres ? demanda Sabin.

Fulmin confirma d'un hochement de tête. 

— Et l'baraque du Sénéchal, elle est où ? questionna Célin.

— L'Sénéchal d'la province, i'fait pas partie d'la Vilénie, mais d'la Noblesse, révéla Fulmin. Du coup, i'vit pas dans une baraque du ghetton mais dans un palais du QuartNoble d'SaintIsidor. Enfin quand i's'trouve à SaintIsidor parc'qui s'agit d'IsabonJan d'Nob'Bois, l'Seigneur de BourgBois, l'Sénéchal d'la province, et qu'i's'trouve là-bas une bonne partie du temps.  

— J'aime pas les Nob', moi, grogna Célin, tout en crachant par terre, et j'leur jaune au culon autant qu'i sont !

Fulmin vint se placer à ses côtés puis posa sa main sur son épaule assez virilement. 

— Même s't'les aimes pas, les Nobles, t'les respectes en ma présence, pigé ? tonna-t-il.

— Ouais, fit Célin avant de repousser la main de son entraîneur d'un geste de l'épaule puis d'accélérer le pas. 

— C'est interdit d'pas aimer les Nob' ? demanda Pétron quelques instants plus tard. 

— Non, répondit Fulmin. Beaucoup d'soldats les aiment pas et aiment pas davantage les Saints d'ailleurs, mais s'êtes encore des gosses et j'veux qu'vous soyez respectueux d'autrui tant qu'vous s'rez l'culon sous l'toit d'ma patern'rie ! J'espère qu'c'est clair, ça !

Les trois garçons, suite à ces mots quelque peu véhéments de leur entraîneur, gardèrent le silence, de peur de le fâcher plus qu'il ne l'était déjà, et ce fut finalement lui-même qui reprit la parole. 

— Pour vot' question d't'à l'heure, j'vais pas vous mentir, les enfants, la plupart des orph'lins d'viennent glaiveurs, archers ou lanciers parc'qu'pour les aut' postes, les gars ont d'jà leurs gamins sur l'coup pour prendre leur suite. Après, si v's'en voulez et qu's'avez un peu d'chance, tout est possible ! L'capitaine de not'section, Vairon VilVair, c'tait un orphelin lui aussi, et qu'est passé par la même paternerie qu'vous d'ailleurs ! Il s'est entraîné dur, avec mon père, qu'tait son entraîneur, et au fil des ans, l'est parvenu à grimper les échelons jusqu'à d'v'nir cap'taine ! Alors, bon, c'est pas arrivé très souvent, pour sûr, des parcours miraculeux comme ça, mais c'est possible d'progresser un peu, ça oui ! 

Il sourit aux enfants, puis après jeté un coup d’œil vers l'avant, il leur demanda tout à coup d'accélérer le pas afin de se rapprocher de Célin qui prenait de plus en plus d'avance et qui se trouvait désormais un peu trop éloigné à son goût.


Après une petite demi-heure de marche, le groupe sortit du ghetton et immédiatement, le chemin commença à s'élever.

— On va prendre la direction des montagnes, les garçons, leur dit leur entraîneur. Là-haut ! Vous voyez ?

Il désigna les crêtes de son index. Les enfants n'y distinguèrent pas grand chose car bien que le ciel se soit éclairci depuis le matin, les montagnes étaient encore enfouies sous une légère brume.

— Passez tous d'vant, ajouta Fulmin, j'vais fermer la marche pour un temps.

L'entraîneur voulait en fait jauger les garçons, essayer de déceler des indices sur leurs caractères ainsi que sur leurs aptitudes physiques, et pour ça, rien de mieux que de les observer en train de gravir une montée escarpée de bon matin et le ventre vide. Fulmin avait mis en place cette journée de marche en guise d'accueil à la paternerie dès ses premiers mois en tant qu'entraîneur, sur les conseils de son père, qui avait été lui-même entraîneur avant lui, et après quelques ajustements, il était parvenu à concocter un programme toujours riche en enseignements qui lui permettait ensuite de mieux connaître et de mieux encadrer les garçons. Fulmin savait bien que ceux d'entre eux qui atterrissaient chez lui étaient en quelque sorte les rebuts du Royaume, les gosses dont même leur propre famille n'avait pas voulu dans certains cas, et puis que par la suite, personne n'avait adopté, mais l'entraîneur qu'il était savait que la plupart de ces pauvres gosses étaient des gosses de valeur, ou du moins, pouvaient le devenir. Et c'était là qu'il entrait en scène, lui, l'entraîneur, dont le rôle était de tirer vers le haut ces mômes perdus et de leur donner une chance en les accueillant dans la grande famille des soldats, la seule qui voulait bien d'eux ! Fulmin s'estimait heureux de jouer ce rôle-là et d'avoir pu ouvrir les bras à de si nombreux enfants souvent déjà aigris par la vie, si jeunes, et de leur permettre, sous sa houlette, de devenir d'honorables soldats, d'honorables maris et d'honorables pères. Évidemment ce n'était pas le cas de tous. Fulmin avait aussi vu passer un bon paquet de têtes dures, de gros bras et de grandes gueules durant toutes ces années, et certains d'entre eux, irrécupérables, s'étaient mis à voler, violenter, ou pire, et avaient fini dans un exilier en direction des îles de l'exil ou un poignard de soldat enfoncé en plein cœur. À quoi le destin de chacun d'entre eux tenait-il et qu'est-ce qui faisait passer les uns du bon côté et les autres du mauvais ? Fulmin l'ignorait au fond, mais ce qu'il savait, ou qu'il aimait à croire pour le moins, c'était qu'il avait une occasion, une chance d'aider ces garçons que le destin mettait sur sa route et ce matin-là, dans la montée qui menait au HautFort qu'il avait empruntée des centaines de fois, il était heureux d'être avec ces quatre garçons qu'il espérait pouvoir aider dans leurs vies. 

— Ça va être encore long ? lui demanda tout à coup Guilon, qui à force de traîner, se trouvait désormais à ses côtés.

— Jusqu'à la première étape non, mon gars. Plus qu'que'ques minutes de marche.

— Et jusqu'à la dernière ? 

— Crois-moi, tu préfères pas savoir ! plaisanta Fulmin. On r'trouv'ra la paternerie qu'à la nuit tombée.

— Oh, on n'a pas fini d'marcher alors ! grommela le gamin. 

— Nan ! confirma Fulmin. Et tu sais, ajouta-t-il, comme soldat, sur c'Mur, tu march'ras toute ta vie. Tu patrouilleras, tu r'patrouilleras, et tu patrouilleras encore. Et si un jour, tu partiras en guerre à l'aut' bout du Royaume ou à l'aut' bout du monde, tu march'ras jusqu'là p'is tu r'viendras ensuite et tu r'commenç'ras encore et encore !

— J'f'rais mieux d'm'y faire, c'est ça qu't'essayes d'me dire, entraîneur ? 

— Exactement, sourit Fulmin en tapant sur le dos de Guilon.

Ce faisant, il aperçut le HautFort, plus haut, dans les montagnes.  

— Regarde, p'tit, on arrive ! s'écria-t-il. 

Guilon leva les yeux et aperçut, plus haut, un fort qui trônait majestueusement au sommet d'une crête. L'édifice semblait petit depuis là, mais le garçon se douta bien qu'il s'agissait d'une impression. Célin, Pétron et Sabin, qui étaient arrivés là quelques minutes plus tôt, attendaient leur entraîneur et leur camarade un peu plus loin et rappliquèrent auprès d'eux dès lors qu'il les aperçurent. 

J'vous présente le HautFort les garçons ! s'exclama Fulmin. Il s'agit du fort le plus à l'ouest du mur, et en même temps, d'c'lui qui s'trouve le plus haut dans les montagnes. Depuis là-haut, la vue est magnifique ! Suivez-moi !

Les enfants se regardèrent avec intensité. 

— On va aller sur l'Mur, j'le savais ! sourit Célin avec bonheur.

— T'savais rien du tout, sale menteur ! rétorqua Pétron.

— Ah ouais, t'sais c'qu'j'ai dans la tête maint'nant toi ? rugit Célin. 

— Ouais, un bon paquet d'brun d'fion ! riposta l'autre.

La chamaillerie prit fin très rapidement, car à partir de cet endroit-là, le chemin était véritablement escarpé et les dénivelés, particulièrement conséquents, demandaient de se consacrer à cent pour cent à l'effort. Les derniers mètres relevaient d'ailleurs davantage de l'escalade que de la marche, mais tous les enfants arrivèrent enfin au sommet de la colline où se trouvait le pied du fort. Là, un soldat qui fumait la pipe plaisanta avec Fulmin durant quelques minutes, puis le petit groupe pénétra dans le colossal édifice. L'on traversa ensuite la cour, où des dizaines de soldats s'entraînaient au maniement du glaive ou de la lance,  jusqu'à rencontrer un escalier de pierre que le groupe emprunta pour se retrouver au niveau du Mur. Un peu plus loin, tous entrèrent dans la tour du fort puis montèrent en son sommet. Arrivés là-haut, les jeunes se postèrent le long du parapet et observèrent en contrebas avec émerveillement, bouches bées. Fulmin adorait ce moment. Un moment magique pour les gosses, et par ricochet pour lui aussi, plus tellement du fait de la vue, qu'il connaissait par cœur, mais plutôt à cause du bonheur des gosses. Depuis le sommet du HautFort, la brume s'étant dissipée depuis le matin, ceux-ci pouvaient maintenant apercevoir la totalité du Mur, d'abord la partie sinueuse, qui suivait les crêtes des collines, puis plus loin, en plaine, la longue partie droite qui courrait jusqu'au fleuve et enfin la partie finale qui filait vers le nord jusqu'à rejoindre la muraille entourant SaintIsidor. Perché là-haut, l'on pouvait ainsi saisir l'immensité de la construction d'un simple coup-d’œil et l'impression de majesté qui se dégageait de l'édifice, pareil à un gigantesque serpent composé d'écailles de pierre jaunâtres, était à couper le souffle. 


Après quelques minutes de contemplation, Fulmin sortit une gourde du sac en jute qu'il portait sur le dos, ainsi qu'une large tranche de pain.

— Allez, faites comme moi, mangez et buvez, lança-t-il aux enfants.

Et il dévora son morceau de pain, rapidement imité par les quatre garçons qui ne s'étaient rien mis sous la dent depuis la veille au soir. Lorsque tous en eurent terminé, Fulmin se leva.

— L'GranMur fait six milles de mèt' de long jusqu'à r'joindre SaintIsidor et i'comporte un fort chaque d'mi-mille, soit douze forts au total. On les travers'ra tous aujourd'hui ! 

Les garçons se regardèrent les uns les autres en faisant de gros yeux à l'idée d'avoir encore à tant marcher. 

— L'a été construit y'a bien longtemps, l'GranMur, poursuivit Fulmin, y'a p'us de quat'cents ans ! Vous savez pourquoi qu'nos ancêtres l'ont érigé là ?

— Les Monstres, murmura Guilon.

— Les Monstres, reprit l'entraîneur, un peu plus fort, et d'une voix effrayante. Vous savez quoi d'eux ?

— Ils vivent juste d'l'autre côté du mur, dans l'Bois-aux-Monstres, s'écria Guilon.

— Ils tuent tout homme qui pénètre dans l'Bois, ajouta Sabin. 

— On est pas trop sûr d'comment qu'isont aussi, lança Pétron, mais certains disent qu'c'sont des hommes à tête de loup ou à tête d'ours ! 

— Y'a aussi des araignées géantes, s'exclama Guilon.

— Et des tritons et des sirènes tueuses, reprit Sabin.

— Et puis des nains aussi, continua Pétron.

Tous se tournèrent subitement vers Célin qui avait gardé le silence depuis le début de la discussion, mais qui ricanait désormais. 

— C'est n'import'quoi tout ça ! protesta-t-il. Les Monstres, i's'existent pas, c'est qu'des histoires pour les mômes ! 

— C'est pas vrai, s'offusqua Pétron, les Monstres existent ! 

— Ah ouais, et comment qu'tu l'sais, t'en as déjà vu, p't'êt' ? riposta Célin.

— Nan, mais mon oncle en a vus ! 

— Ton oncle, pfff, i't'a raconté ça pour t'faire jauner dans ton culoton, c'est tout !

— C'est pas vrai, hurla Pétron en se levant avec nervosité. Les Monstres existent, hein, entraîneur !  

Fulmin leva les yeux vers les enfants et remarqua que tous les quatre le regardaient comme ils auraient regardé le Bénicieux en personne qui s'apprêtait à leur délivrer une parole divine. 

— J'ai jamais vu d'Monstre d'mes yeux, mais pourtant j'y crois, et sans l'moindre doute ! déclara-t-il en y mettant toute la solennité possible.

Il s'approcha des enfants. 

— Vous avez vu la taille d'ce Mur ! Des milliers d'hommes ont travaillé à sa construction, empilant durant des années et des années des milliers et des milliers de pierres qu'd'aut's hommes ont amené des montagnes, plus loin, dans les Arbreuses.

Il pointa le Mur de son index sans néanmoins se retourner.

— J'peux pas croire qu'nos aïeux aient fait tout ça sans être sûrs d'c'qu'i avait dans l'Bois ! Tous ces efforts, pour d'simples légendes ? Pour moi, c'est pas possible ! 

— P't'être qu'les Monstres existaient à l'époque et qu'i's existent p'us maintenant, aussi, lança Célin. 

Fulmin sourit. 

— L'oncle à Pétron est pas l'seul à avoir vu d'Monstre dernièrement, loin d'là ! Chaque quartaine qui passe, plusieurs signalements sont faits au Gouverneur d'la province, Frédriquin de CaseNoble, par des soldats qui patrouillent sur l'Mur, par des pêcheurs qui lancent leurs filets en Mer du Sud ou par des villageois du coin, surtout du côté des montagnes. Tous peuvent pas se tromper, pour sûr !

Son visage se para tout à coup d'un voile d'angoisse. 

— À c'qu'on m'a rapporté, d'ailleurs, les signalements sont d'plus en plus nombreux d'puis deux ou trois lunes.

Il balaya du regard le Bois-aux-Monstres, plus au sud, puis revint vers les garçons, l'air inspiré.

— Qu'vous croyez qu'des bêtes horribles rôdent dans c'Bois ou non, au fond, c'est vot' choix les enfants. Par cont', c'qu'est sûr, c'est qu'vous s'rez bientôt des soldats d'la troupe du GranMur d'SaintIsidor, et qu'en tant que tel, que'qu'soient les idées qui trottent dans vos têtes, i'vous faudra défendre fièrement l'Royaume en travaillant dur à vot'poste, qu'c'soit en patrouillant sur l'Mur ou en confectionnant des armes, des vêt'ments, d'la potée ou quoi qu'c'soit d'aut' ! Pigé ?

Les gamins acquiescèrent, même Célin, et Fulmin, satisfait de sa petite envolée pleine de romantisme, décida alors que c'était là une chute parfaite pour leur petite discussion animée ainsi que le moment adéquat pour poursuivre leur marche. 


L'entraîneur et les quatre garçons redescendirent de la tour puis empruntèrent une porte qui les menèrent sur le Mur. Le chemin de ronde faisait un peu plus d'un mètre de large. De part et d'autre se trouvaient des parapets d'un peu moins de deux mètres de haut dont le sommet était constitué d'une succession régulière de créneaux et de merlons. Les gamins se hissèrent les uns après les autres à l'un ou l'autre créneau, à la force des bras, pour voir de l'autre côté. Une fois l'exercice terminé pour chacun d'eux, le groupe entama la marche, qui fut relativement ardue sur cette partie du mur puisque l'édifice, qui suivait les crêtes des collines, filait dans une succession de descentes et de montées faites d'escaliers aux marches particulièrement hautes pour des enfants. Ces derniers, de plus, étaient trop petits pour pouvoir apercevoir le paysage environnant, d'un côté comme de l'autre, et la marche fut ainsi un peu ennuyeuse pour eux. Le parapet méridional, cela dit, comportait une meurtrière tous les cinq mètres, et cela leur permit de pouvoir saisir de temps en temps un petit pan du Bois-aux-Monstres ou de la clairière qui le précédait. Fulmin, de son côté, tâcha d'agrémenter la marche en distillant quelques explications sur l'utilité des meurtrières ou des créneaux ou en contant l'une ou l'autre anecdote. Les enfants purent aussi observer le défilé des soldats qui patrouillaient ou causer avec ceux qui faisaient le guet sur le Mur. L'un d'entre eux leur montra son arc, ses flèches et son carquois et les laissa même se saisir de l'arc et essayer d'en bander la corde. Tous purent également prendre une flèche en main et remarquer à quel point sa construction était plus complexe qu'il n'y paraissait et sa pointe davantage acérée qu'ils ne le supposaient. Sabin se blessa d'ailleurs le doigt à cette occasion en le pressant sur l'extrémité de la flèche. Le groupe progressa une bonne heure de cette manière et traversa de nombreux forts avant d'arriver au FortBosquet, où ils allaient déjeuner en compagnie de soldats de la troisième section. 


Pour ce faire, ils descendirent du Mur, passèrent par la cour du fort puis en rejoignirent le réfectoire, une salle immense ou plusieurs dizaines de soldats se restauraient alors, installés à de très longues tables où l'on pouvait manger les uns aux côtés des autres. Les quatre garçons se postèrent à la suite de Fulmin à l'arrière d'une file où on finit par leur servir une bolée de soupe et leur donner un quignon de pain. Tous s'assirent ensuite à une tablée, aux côtés de soldats, puis se mirent à manger allègrement, affamés qu'ils étaient par les milles de mètre de marche qu'ils avaient déjà avalés jusqu'à présent.

— La soupe est moins bonne que celle qu'on me servait chez le Cordon Lucan, confia tout à coup Guilon.

Le soldat assis à ses côtés, un grand type à la peau mate, tiqua. 

— Qu'e'qu'j'entends ! L's'orphelins s'tapent d'la meilleure soupe qu'les soldats d'par chez nous ! Qu'e'qu'c'est qu'c't'histoire-là, maint'nant ? vociféra-t-il. 

— C'est normal, sottard, lui répondit le soldat assis en face de lui, un petit blond. Il mangeait à la tab' d'un Cordon l'gamin, un membre de la Sainteté ! C'est sûr qu'i'va bouffer mieux qu'un Vil du coup !

Il se tourna vers Guilon.

— Dis, p'tit, ton Cordon, i't'a fait goûter au chocolat ?

Un énorme sourire apparut sur le visage du gamin, qui acquiesça de vifs hochements de la tête. 

— Mon Cordon Lucan, il disait qu'un orphelin avait pas d'ordre, et qu'il lui était donc pas interdit de manger du chocolat !

Les deux soldats firent de gros yeux. 

— Et comment qu'c'est le chocolat, alors, p'tit ? demanda le plus grand des deux. 

— C'est super bon, répondit Guilon. C'est sucré comme un fruit mûr et rond comme de la crème en même temps ! Un vrai délice ! 

Les deux soldats sourirent à entendre ça, comme si les mots de Guilon leur avaient fait accéder l'espace d'un instant au goût savoureux de ce met qui était proscrit aux membres de leur ordre. 

— C'est la première fois qu'j'cause avec quelqu'un qu'a d'jà mangé du chocolat, finit par déclarer le soldat blond en se levant. 

L'autre ébouriffa les cheveux de Guilon en lui secouant énergiquement la tête de sa main, avant de se lever lui aussi. L'instant d'après, tous deux partirent, suivi de Fulmin qui avait besoin de se soulager. 

— Crois pas trop qu't'es que'qu'un parce'qu't'as bouffé du chocolat ! lui lança alors Célin en posant sur lui de bien méchants yeux. T'es qu'un p'tit fonduc' d'lécheur d'culon d'Cordon, rien de plus ! Et pis, t'en mang'ras plus jamais du chocolat maint'nant qu't'es un Vil !

— Toi non plus, sottard d'mes deux ! lui décocha Guilon en espérant avoir utilisé l'apostrophe de manière adéquate. 

Pétron et Sabin explosèrent de rire à entendre cette réplique cinglante de leur chétif camarade. Célin, de son côté, se sentant humilié, se leva et s'apprêta à balancer un soufflet monumental à Guilon lorsqu'il aperçut Fulmin en face de lui. Il renonça alors, mais l'entraîneur, pas dupe, lui lança un regard noir avant d'ordonner à tous de se lever afin de reprendre la route.  


De retour sur le Mur, Fulmin demanda aux quatre garçons de se placer en face d'une meurtrière et d'y observer la clairière depuis là. Tous constatèrent ce faisant qu'un bosquet composé d'une vingtaine d'arbres ainsi que de quelques haies se trouvait là, entre le Mur et l'orée du Bois, à un peu plus d'une cinquantaine de mètres d'eux. 

— Pourquoi qu'on les coupe pas ces arbres, demanda Sabin. Ils empêchent d'surveiller correctement l'Bois d'puis là !

— T'simplement parc'qu'l'GranMur comporte aucun passage permettant d'accéder à la clairière ! révéla Fulmin. L'a été conçu pour séparer complèt'ment les hommes des Monstres, l'GranMur, et du coup, même si c'est d'jà arrivé que'ques fois qu'des hommes descendent en-bas à la corde pour que'que mission bien précise, on laisse ces arbres tranquilles ! Et puis, d't'tes façons, c'bosquet, les hommes en ont peur parc'qu'il est maudit !

Les quatre garçons retirèrent leurs têtes des meurtrières et dévisagèrent Fulmin avec une inquiétude palpable dessinée sur leurs visages.

— Maudit, répéta Guilon, mais comment ça ? 

— J'vais tout vous raconter, répondit l'entraîneur. En cent-et-quarante-cinq après la Visitation Divine, l'Roi Oton, qu'tais Roi d'GranQarélie à c't'époque, conquit la totalité de l'Ifie, l'Royaume qui s'trouvait ici. L'lui restait plus qu'à prendre If, la capitale, qu'il assiégea. Le Roi ifien, sachant sa perte assurée, négocia la reddition d'la ville plutôt qu'd'combattre et en ouvrit les portes contre la promesse qu'l'sang coulerait pas. Oton accepta, puis entra glorieusement dans la ville avec ses troupes avant d'rencontrer l'Roi et sa cour l'soir-même, à l'occasion d'un festin organisé en son honneur. Il s'avéra qu'les deux hommes s'entendirent à merveille, ripaillèrent et burent allègrement ensemble, tout en s'vantant l'un comme l'aut' d'leurs exploits respectifs. P'is à la toute fin du dîner, l'Roi ifien raconta à son hôte une histoire pleine d'mystère. L'lui dit qu'au sud d'son Royaume s'trouvait un bois peuplé d'Monstres si dang'reux qu'aucun homme d'son peuple s'y aventurera jamais, hormis lui-même, car il était d'la race des vaillants. Il ajouta aussi qu'un trésor immense s'trouvait dans l'Bois, mais qu'seul, il avait pu en ramener qu'un bijou, un bracelet en or serti de pierres précieuses, qu'il montra au Roi Oton. Excité par l'défi, et envieux d'trouver le trésor, c'lui-ci pénétra dans l'Bois que'ques jours plus tard, accompagné d'centaines d'ses meilleurs soldats. L'lend'main, c'qui restait d'l'armée du Roi d'If attaqua par surprise les troupes royales. L'on sonna alors l'cor, encore et encore, mais ceux qu's'en étaient allés dans l'Bois r'vinrent pas, ni ce jour, ni jamais plus et les troupes royales, inorganisées sans leurs chefs, furent massacrées par l'armée ifienne.

— Faudrait l'appeler Oton l'Stupide plutôt qu'Oton l'Intrépide, c'Roi ! s'exclama Guilon. 

Fulmin sourit à ces propos, mais ne les commenta toutefois pas.

— Que'ques années plus tard, reprit-il, les deux plus jeunes frères d'Oton, Isabon et Conon, r'formèrent une troupe et conquièrent c'tte fois entièrement l'Ifie, sa capitale comprise. Isabon, dès lors GranGouverneur d'la province, qui fut r'baptisée l'Orélie, offrit If aux flammes. Ensuite, dès les lendemains d'sa victoire, i'd'manda à ses hommes d'emmener l'Roi ifien et tous les aut' prisonniers à l'orée du Bois, p'is i'leur donna l'choix d'entrer dans l'Bois ou d'être exécuté. L'Roi ifien fut l'premier à donner sa réponse et opta pour la mort, qu'Isabon, désireux d'venger son frère aîné d'sa prop' main, lui donna en l'décapitant de face avec un glaive, les yeux dans les yeux, comme l'pratiquait jadis l'Roi Qarel avant sa conversion au cordonnisme. Par la suite, à la grande surprise d'tous, pas un Ifien n'choisit d'entrer dans l'Bois...

— S'ont préféré une mort certaine plutôt qu'd'avoir une chance d'survivre ! s'étonna Célin. Quelle sotterie !

— Tu comprends donc pas, s'écria Guilon. Ils savaient qu'en entrant dans l'Bois, une mort bien plus atroce qu'celle qu'leur réservait les soldats d'Isabon les attendait ! 

Fulmin confirma d'un hochement de tête avant de reprendre :

— Les exécutions durèrent tout l'jour ! Jusqu'au crépuscule, les soldats d'Isabon tuèrent, encore et encore, en plantant leur poignard en plein cœur des condamnés à mort, les yeux dans les yeux, comme l'font encore les soldats aujourd'hui. L'sol, au fil d'la journée, s'gorgea du sang des Ifiens, exécution après exécution, si bien qu'le soir venu, le sol fut plus que boue rougeâtre, la terre s'étant gorgée d'litrons et d'litrons d'sang. Les corps, quant à eux, s'empilèrent les uns sur les aut', finissant par former des montagnes de cadavres. Des soldats furent alors chargés de creuser un immense charnier dans l'quel on j'ta les corps mais c'ui-ci s'avéra insuffisamment grand et à la nuit tombée, d'nombreux cadavres avaient pas encore été enterrés. Isabon préféra éviter à ses hommes d'demeurer si près du Bois durant la nuit et ordonna à tous d'cesser l'travail pour l'reprendre l'lendemain à l'aube. Seul'ment lorsqu'ces derniers r'vinrent sur place au p'tit matin, une partie des corps avaient disparus et les aut' avaient été atroc'ment mutilés par des bêtes, et pas par des chiens sauvages si vous voyez c'que j'veux dire !

À ces mots, Guilon laissa échapper un cri d'effroi. Les trois autres garçons – Célin y compris - n'en menèrent pas large, eux non plus.

— Les exécutions eurent lieu exactement à l'endroit où s'trouve l'bosquet, les enfants, ajouta Fulmin. Les corps enterrés ainsi qu'l'sang versé, en servant d'engrais, permirent à ces que'ques arbres et arbrisseaux d'pousser. On raconte qu'leur sève est rouge comme l'sang et qu'leurs racines ont fait leurs les ossements des cadavres s'trouvant sous terre. Et parfois, lorsqu'la nuit est noire, complètement noire, on peut entendre des cris en provenance du bosquet qui résonnent jusqu'au Mur et parfois même jusqu'aux abords du ghetton !

Sitôt son récit achevé, Fulmin replaça son sac sur son dos puis se mit à marcher vers l'ouest. 

— Quelle horreur ! s'exclama Guilon. 

— Ouais, ça fait froid dans l'dos ! ajouta Sabin.

Pétron et même Célin acquiescèrent à tout ça, silencieusement, puis tous les quatre se mirent en marche eux aussi.  


Les garçons discutèrent longuement de tout cela par la suite, puis au gré de leurs échanges, ils se mirent à se raconter leurs vies les uns aux autres. Fulmin écouta d'une oreille, l'air de rien, afin d'éventuellement glaner l'une ou l'autre information qui lui permettrait de mieux comprendre les garçons. Guilon conta avoir grandi dans une bourgade située au nord de SaintIsidor appelée VertePlaine. Le Cordon du village, qui l'avait élevé, avait été plus que bon bon avec lui, le traitant presque comme son fils. Sinon, il ne savait rien de ses parents, étant donné qu'il avait été abandonné à la naissance, mais il avait néanmoins été heureux jusqu'à ce qu'on ne l'arrache à sa vie, la veille. Sabin, de son côté, avait connu ses parents, sauf que tabassé sans cesse par son père, il avait fini par quitter son foyer et son petit village des environs de BourgBois et s'était élancé sur les chemins vers le sud, pour finalement trouver refuge auprès du Cordon d'un village attenant à SaintIsidor qui l'avait bien nourri, du moins tant qu'il avait travaillé dur et qu'il s'était comporté avec piété. Pétron, comme Guilon, n'avait pas connu ses parents qui étaient morts alors qu'il n'était qu'un jeune enfant. Il avait vécu avec son oncle et sa tante jusqu'au jour où ruinés, ils l'avaient abandonné auprès du Cordon de leur village avant de partir quelque part ; où, Sabin l'ignorait. Célin, une fois que ses camarades se furent tous livrés, refusa tout net de raconter son histoire, mais pressé par les trois garçons, qui lui opposèrent qu'il avait écouté les leurs et que maintenant, ils voulaient entendre la sienne, il finit par balancer froidement qu'il s'était retrouvé seul après que son père ait été condamné à la peine d'exil pour avoir étranglé sa mère, une sale catine qui avait donné son culon à tout le village, précisa-t-il. Après un long silence, il ajouta que ne sachant où aller, il s'était rendu à la paternerie de SaintIsidor d'où on l'avait renvoyé, faute de place, en lui disant de faire le tour des villages du coin à la recherche d'un Cordon qui voudrait bien s'occuper de lui. Ce faisant, il avait fini par tomber sur un Cordon conciliant qui avait accepté de le garder mais qui avait aussi essayé de le tripoter et comme il avait pas voulu, le religieux avait décrété qu'il avait dix ans et qu'il était temps pour lui de partir pour la paternerie des soldats. 


L'histoire de Célin achevée, Fulmin signala aux enfants que le FortMouillé était tout proche et qu'au sommet de la tour, la vue sur le fleuve, la Mièvre, était d'une rare beauté. Les quatre garçons, excités par la chose, se mirent en tête de faire la course jusqu'au fort et s'élancèrent à toute vitesse sur le chemin de ronde. Guilon, bien conscient qu'il n'avait pas l'ombre d'une chance ne serait-ce que d'arriver troisième, ne participa pas et laissa ses trois camarades se disputer la victoire. Pétron et Sabin partirent en trombe et mirent une bonne dizaine de mètres entre eux et Célin, mais à mi-chemin, ils commencèrent à ralentir alors que Célin atteignait au même moment sa vitesse de pointe. Le jeune garçon, plus grand que ses deux concurrents, gagna la course haut la main, devant Pétron, qui vola la deuxième place à Sabin au tout dernier moment. Une fois au sommet de la tour, chacun des quatre garçon se plaça sur un versant différent de l'édifice. Pétron scruta l'est et aperçut l'ensemble du Mur, jusqu'au HautFort d'où tous s'étaient élancés le matin même. Sabin, de son côté, admira le port de SaintIsidor, qui se trouvait au nord, tandis que Guilon, sur le versant opposé, posa son regard sur la Mer du Sud et les quelques bateaux de pêcheurs qui s'y trouvaient. Célin était quant à lui posté à l'ouest, en direction de la Mièvre, et en jetant un coup d’œil sur le fleuve, en contrebas, il aperçut un éxilier, reconnaissable entre mille à sa cargaison, des femmes et des hommes en partance pour l'exil, que l'on entassait généralement jusque sur le pont. En observant l'embarcation, Célin réalisa que son père s'y trouvait peut-être et désolé à souhait, il ne put empêcher ses yeux de s'humidifier et de rougir. Lorsque les quatre garçons échangèrent leurs places, une première, une seconde, puis une troisième fois, il s'arrangea pour qu'on ne voit pas son visage en demeurant en continu face au parapet de la tour et son stratagème fonctionna ; ses camarades ne remarquèrent ni ne surent rien de son affliction. Seul Fulmin, attentif, au centre de la tour, ne fut pas dupe. 


À partir du FortMouillé, le Mur filait vers le nord, le long du fleuve. Les quatre garçons, la fatigue mentale et les douleurs dans les jambes aidant, marchèrent lentement et silencieusement, et ce faisant, ils atteignirent un premier fort, qu'ils dépassèrent sans même s'y arrêter, puis finirent par arriver à un second. À cet endroit-là, le GranMur rejoignait la muraille qui entourait SaintIsidor. En prenant tout droit, le chemin de ronde menait aux arsenaux puis à l'immense port qui se trouvait au nord-est de la ville. SaintIsidor était la plus grande ville portuaire du Royaume. Sa situation était idéale pour le commerce, d'une part, car la ville se trouvait à l'extrême sud du Royaume, ce qui en faisait un point de départ idéal pour les destinations méridionales comme la Côte-Libre et les Sept Contrées, et d'autre part, car la ville se trouvait à l'embouchure de la Mièvre, ce qui permettait depuis son port d'accéder aux villes situées en amont du fleuve, comme SaintGaspar, SaintOscar, VilDieu ou même ErineVil, en empruntant le loncanal. SaintIsidor était aussi la plaque tournante du transport des exilés vers les Îles de l'exil. Les condamnés, surveillés par des gardes, y affluaient en effet depuis tout le Royaume, par voie terrestre ou par voie maritime, en charrette ou en exilier, puis transitaient par le gigantesque purgatoire de la ville, qui se trouvait accolé au port, avant de finalement faire leurs adieux au Royaume et de prendre le large vers les Îles de l'exil. 


Fulmin et les quatre garçons bifurquèrent vers l'ouest. La muraille qu'ils empruntèrent alors longeait sur son versant nord le QuartSaint de SaintIsidor. Le groupe put y admirer l'un des plus grandioses édifices de GranQarélie : le Conjuratoire aux Monstres, un temple où les cordonniens venaient conjurer le Malicieux et ses Monstres par des prières, édifiant de cette manière, selon leur croyance, un mur spirituel capable de repousser ou du moins de maintenir à distance ces Créatures tant redoutées. Deux édifices similaires, le Conjuratoire aux Spectres, situé au nord-est de la province des Tourbières, non loin des Terres des Spectres, et le Conjuratoire aux Chantres, situé au centre des Terres Divines, non loin des Terres des Chantres, avaient quant à eux pour but de maintenir à distance ces autres Créatures auxquelles le Royaume avait à faire face dans ces contrées-là. Le Conjuratoire aux Monstres était le bâtiment le plus majestueux du QuartSaint de SaintIsidor et même de la ville toute entière de par sa longueur et sa largeur, tout bonnement monumentales. L'édifice était cependant moins aérien que le Cordonnaire de la ville et comportait nettement moins d'ornements, mais son gigantisme impressionnait à lui seul. Les quatre garçons restèrent quelques minutes sur place à observer le grand vitrail circulaire rouge qui trônait au centre de la façade sud de l'édifice ainsi que les quatre ouvertures en demi-cercle qui se trouvaient un peu plus bas et donnaient sur un immense balcon sur lequel des centaines de fidèles cordonniens agenouillés priaient alors, tournés vers le sud, en direction des Terres des Monstres.  


Quelques minutes plus tard, le groupe traversa un fort de plus et franchit ce faisant la limite du QuartSaint de SaintIsidor. En contrebas, au nord, se trouvait désormais la VilleProbe de la capitale orélienne, déjà à moitié endormie à cette heure tardive de l'après-midi. Le groupe descendit bientôt un escalier qui les fit parvenir sur une placette presque complètement déserte. Fulmin guida ensuite les garçons à travers quelques venelles sombres et puantes, puis l'on arriva sur une large rue le long de laquelle charrettes et badauds allaient, principalement vers le sud. En cette fin d'après-midi, les Probes et les Vils de la cité étaient nombreux à quitter l'enceinte de la ville après leur journée de travail afin de rejoindre les quartiers se trouvant à l'extérieur de SaintIsidor pour les Probes ou le ghetton du GrandMur pour les Vils. Fulmin et les garçons se joignirent au flux d'hommes et de femmes, franchirent la muraille par la porte sud, la Porte du GranMur, longèrent la grande route sur un peu plus d'un mille de mètre, puis finirent par parvenir au ghetton. Là, il leur fallut encore parcourir quelques centaines de mètres jusqu'à retrouver la paternerie, heureux d'en finir enfin avec cette marche éreintante qui avait mis leurs pieds ainsi que leurs jambes à rude épreuve. 


Une fois sur place, les quatre garçons rejoignirent le réfectoire où les filles de la paternerie ainsi que les garçons qui n'avaient pas participé à la marche du jour étaient attablés, certains ayant déjà terminé leur bolée. Tous quatre s'assirent à une table laissée libre, se servirent de la soupe à ras bord de leur écuelle puis l'avalèrent avec appétit. Pavelone, la fille qui la veille, avait menacé de cogner Guilon, dans la charrette qui les avait mené à la paternerie, finit par venir s'asseoir à côté de Célin et de le questionner sur sa journée. Quelques instants plus tard, d'autres filles rejoignirent la tablée. Parmi elles se trouvait Firmine, qui s'installa auprès de Guilon en souriant timidement. 

— Comment était ta première journée ? questionna le garçon. 

— Pas si différente de c'qu'j'ai connu jusque-là, répondit Firmine. J'ai rangé, passé le balai, lavé du linge, r'prisé des soques et des culotons, prié au Cordonnaire du ghetton, p'is, j'ai aidé à préparer la soupe et le pain qu'tu manges en c'moment aussi. 

Guilon pinça les lèvres, un peu triste d'entendre ça. 

— Et toi, raconte-moi tout ! S'avez vécu d'grandes aventures aujourd'hui ? interrogea la jeune fille.

Guilon sourit, puis détailla tous les événements du jour, dépeignit tous les paysages et décrit toutes les émotions qu'il avait ressenties. Lorsqu'il eut achevé son récit, Firmine se jeta à son cou, puis l'embrassa sur la joue, tout près des lèvres, en lui disant qu'il était si courageux et si brave que ça lui plairait bien d'être sa petite femme plus tard, lorsqu'il auraient l'âge, et qu'elle s'occuperait alors de son petit chez lui et de ses enfants, toujours impatiente qu'il ne rentre de ses patrouilles sur le Mur et qu'il ne lui livre le récit des événements surprenants ou terrifiants de sa journée ou de sa nuit de vaillant soldat. 


Guilon, le soir-même, allongé dans son lit, épuisé par sa terrible journée de marche et le corps endolori de la tête aux pieds, songea un peu à ses pérégrinations du jour et beaucoup aux mots doux de Firmine ainsi qu'a son tendre baiser dont il lui semblait encore sentir la caresse sur la joue, tout près des lèvres. Il allait finalement s'assoupir lorsqu'il se rendit compte qu'au milieu de tout cela, il n'avait pas eu la moindre pensée pour le Cordon Lucan. Guilon s'en voulut un peu d'oublier si vite cet homme qui des années durant avait été si bon pour lui. Il se sentit aussi triste, soudainement, d'avoir été arraché à une vie bien heureuse, la veille – il y avait une éternité lui sembla-t-il - même si, au fond de lui, ce qui dominait, indéniablement, était une vive excitation face aux promesses de la vie nouvelle dans laquelle on l'avait embarqué. 


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